Jusqu’au dernier souffle

L’histoire se passe dans une petite vallée, aux confins septentrionaux de la Haute-Normandie (1). On y est verrier de père en fils, durement exploité, suant sang et eau devant la gueule brûlante des fours. Jules Roubot, verrier comme ses ancêtres, est adolescent en 1904. L’arrivée des syndicats dans le monde du verre lui donnera l’occasion de découvrir l’euphorie de la solidarité des humbles, mais aussi la désillusion des espoirs qui s’effondrent. Jules Roubot est un militant qui le restera jusqu’au bout. Il en sera victime puisqu’à l’âge d’homme, on l’enverra dans les terribles bataillons d’Afrique, en lointaine Algérie. Quelques années de bonheur avant de connaître l’horreur de la Grande Guerre et le départ : « Jules resta figé, incrédule, devant l’affiche de mobilisation générale, étreignant avec force la main de Madeleine venue l’accompagner à Blangy-sur-Bresle. Amer, il regardait la population accourue au chef-lieu de canton défiler, joyeuse, hurlant sa volonté d’en découdre ». Dans une autre vie, l’auteur pourrait avoir connu le destin du verrier Jules Roubot tant le style est précis, sans fioritures inutiles, et capte l’attention du lecteur, dès les premières pages. Le récit des quatre années passées dans le charnier des tranchées où fusent les ordres absurdes d’un État-major aveugle et incompétent est saisissant de réalisme ! Les dialogues avec l’épouse d’un supérieur, qu’il a sauvé de la mort, sont un répit de douceur pour le Poilu. Ceux d’avec le père, patron verrier, traduisent exactement le fossé culturel et social qui sépare le monde du travail, exploité honteusement en ce début de XXe siècle, et celui d’une bourgeoisie industrielle qui écrase les ouvriers dans les sociétés du verre de l’époque. La dernière rencontre avec son oncle, avant de repartir en enfer, est bouleversante. Il faut absolument lire ce livre qui a du souffle et du cœur. (1) « Jusqu’à mon dernier souffle» — Bruno Garraud — Éditions privat — août 2009 — 19 €.

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