Le chevalier martyr

L’auteur, spécialiste d’histoire médiévale, a voulu plonger le lecteur dans le milieu de l’époque avec l’écriture d’aujourd’hui (1). Pari risqué qui désorientera certains mais ravira d’autres dont je suis. Guilhem Gauzy, seigneur de Molhet, a participé à l’aventure d’une croisade en Terre sainte. Cet homme « anéanti par le décès de ses proches », orphelin, veuf inconsolable, vaincu et otage des Infidèles, a passé son enfance dans les Corbières et « cherche Dieu pour lui demander des comptes ». Brûlé, repoussé par la poix liquide lors de l’assaut, Guilhem est dans un sale état : « Il fallait me porter au-dessus d’un baquet pour que j’y vide mes tripes… J’étais de nouveau nourrisson dans ses langes, mais nourrisson monstrueux, confuse créature à mi-chemin entre la naissance et les vers ». D’une écriture inspirée, les mots du langage d’alors fleurissent tout au long du récit : achaïe, alleu, auxine, badelaire, bayle, bannette, bourbe lier, boutre, etc. Une véritable plongée dans le vocabulaire du XIIIe siècle ! Guilhem raconte la maladie des habitants d’alentour de Gruissan victimes de la « suette ». Et puis c’est l’été où les plus belles fontaines « ne donnent qu’une eau sale et quelques sangsues plates. Jamais je n’aurais cru vivre plus chaud ; j’ai pourtant sué comme assis sur un gril chez les Sarrasins ». Sa virilité a bien été entamée là-bas : « Cette vigueur précisément s’est évanouie avec toute celle qui a quitté le bas de mon corps. Je m’en sers pour pisser ». Miraculeusement sauvé d’un naufrage, il agrippe un tonneau à qui il devra sa survie… le doigt de la Providence. Il faut lire le banquet de Famagouste, un morceau d’anthologie que je ne dévoilerai pas. La truculence et la verdeur du langage nous changent agréablement du sirop romantique des siècles à venir. À quand le prochain conte médiéval ? (1) « Le chevalier assis» — Nicolas Gouzy — Editions Privat — mai 2009 — 19 €. 

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