L’autre

C’est l’histoire de José Sáez, un très pauvre de l’Espagne de 1960 (1). La Nature a voulu qu’il soit le sosie «à la mèche de cheveux près» du plus célèbre des toreros du XXe siècle, Manuel Benitez «El Cordobés». Une réplique parfaite. À un point tel qu’il pourrait emprunter à l’autre «ses habits, son nom et même une place enviable dans la gloire». Chez nous, les Polnareff, Sardou, etc. utilisaient les doublures à leur profit. Pas chez nos voisins. José Saez risque gros car vouloir s’approprier le succès d’une immense vedette de la corrida, un phénomène médiatique comme il y en eut très peu ; peut-être Manolete ou Luis Miguel Dominguin, dans ma jeunesse. Qu’avait de plus ce natif de Cordoue pour bafouer les règles académiques et révolutionner la tauromachie ? La faim, sans doute. José Saez veut sortir de sa condition. Comment ? Devenir curé, militaire ou torero… Manuel Benitez a bien vécu, lui, de combines et de mendicité, alors… Au matin d’une corrida, il s’est engagé et a promis à sa sœur Angelita «Ce soir, je t’achèterai une maison…Ou tu porteras mon deuil». Il deviendra le torero des pauvres pratiquant un toreo suicide. Ce récit aux confins de l’autobiographie et de la fiction nous livre une écriture chirurgicale, poétique, souvent baroque, des années de plomb d’une Espagne corsetée, verrouillée. Elle en a du talent Berta Vias Mahou pour nous entraîner dans les méandres, les arcanes devrais-je dire, afin de tenter d’expliquer le souci majeur de l’Espagne d’alors et, peut-être, d’aujourd’hui : la recherche forcenée de son Identité. José Saez, que la Presse qualifiera de L’Autre, descendra dans l’arène au risque de connaître l’échec et les mauvais coups. Qu’importe l’écorchure à la joue, les deux côtes fêlées. Sa ressemblance confondante avec le Cordobès chavire les femmes qui le trouvent plus beau, plus blond, plus gracieux que le vrai. Contrepartie faustienne : son visage, son passé et son nom ne lui appartiennent plus. Par ce récit, si espagnol, ce livre nous rappelle que raconter la vérité est un attelage où se côtoient deux coursiers : l’authenticité et la lucidité. Bravo.

«Je suis l’Autre» – Berta Vias Mahou – Édition Séguier – Septembre 2017 – 21 €

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