La mort d’un monde ?

Trois ouvrages concernant la fin des paysans (Mendras), la fin des terroirs (E.Weber) et la fin du village (Le Goff), jalonnent le parcours de la dépossession rurale « comme un long processus mal maîtrisé vers l’exode rural, l’agriculture industrielle et la concentration dans de grandes structures ». Il a fallu deux générations pour voir mourir au moins dix siècles de civilisation rurale. Ces générations avaient façonné des paysages, une manière d’habiter les terroirs, des valeurs de courage et de persévérance, le sens de l’effort, de l’économie. Certains pensaient que ces « manants » (habitants au Moyen Âge), ces paysans, étaient des êtres frustes, des «sauvages». Cet Essai est une enquête ethnographique, menée de 1973 à 1975, dans la région de Tartas (Landes) pour l’Université de Bordeaux III. Magistralement conduite. Elle se structure en cinq chapitres et une conclusion avec Marcel Gauchet, en 2016. On y trouve les tâches harassantes de la « civilisation traditionnelle » qui court de l’aube des temps jusqu’en 1914 où la vie du paysan est tout entière consacrée au travail. Il est en osmose avec les cycles naturels. La civilisation des loisirs brisera cette torpeur heureuse. L’oisif : une injure morale et sociale. Surtout, pas de pauvreté « antique misère paysanne ». Les trois quarts de l’année, les hommes travaillent la résine et les femmes la « bugada », la lessive traditionnelle. Le monde villageois est fermé sur lui-même. Petits commerces, artisanats triomphants. Déplacements de plus de 10 km : impensable, au-delà du canton : une folie. De criantes injustices sociales. Au XVIIe siècle, les Landes sont une terre de métayage et les propriétaires des colons. Pour 2 sacs de pommes de terre, blé ou maïs, 1 sac pour le maître. Heureusement, la religion est partout en Chalosse. Les processions : impossible de s’y soustraire. Les pèlerinages d’avant 1914, sont plus courus que les foires ou les marchés. L’endogamie ? Une règle. Sinon, le charivari. On se marie un peu plus haut mais pas beaucoup, jamais plus bas. Un livre qui donne à réfléchir.

1 – «Ainsi fait-on mourir un monde – L’extinction des sociétés paysannes» – Philippe Dubourg –  Éditions Gascogne – 20 €.

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