Le Prieur de l’abbaye de Saint-Savin apparut et comprit que Léon Richard et son compagnon de montée voulaient admirer la vallée de là-haut et visiter le prieuré. Le Prieur ouvrit une porte qui donnait sur une terrasse. «Vous venez au bon moment. Regardez et taisez-vous». Le soleil se levant à peine communiquait un relief extraordinaire à tous les objets. Le brouillard était sous les pieds des visiteurs et s’étendait comme une mer immense. Ils virent un matelas ouaté, transpercé par le disque solaire, s’agiter par la moindre brise et produire une espèce de tourmente. «Soudain elle s’éleva dans l’air comme une pluie d’or : tout disparut à travers cette vapeur de feu et le disque même du soleil était entièrement caché. Ce spectacle avait le prestige d’un songe ; mais un instant après cette pluie retomba, l’air se retrouva aussi pur, le brouillard aussi épais, mais moins élevé». À nouveau, les arbres montraient leurs têtes et les coteaux reverdissaient à qui mieux mieux. Les visiteurs pénétrèrent chez le médecin de Cauterets, possesseur de l’abbaye en vertu des lois de la Constituante de 1790, s’étant nommé lui-même Prieur de Saint-Savin. Les habitants le soutenaient mais l’évêque rechignait à reconnaître un acheteur de bien national. Pourtant, l’usage voulait que Monseigneur visitât le nouveau prieur lors de sa visite des Quatre Vallées. Le médecin prieur ne se découragea pas et fit la queue pour audience à l’évêché. Il réclama humblement le privilège dont jouirent ses prédécesseurs. Monseigneur, charmé, lui pardonna sa nouvelle dignité et lui accorda ce qu’il demandait. Le Prieur fit construire à l’intérieur de l’abbaye une maison de santé remplaçant utilement l’ancienne hospitalité monastique. Les visiteurs regagnèrent la terrasse. La vallée était délivrée des brouillards et la vision féerique, l’air parfaitement pur, jusqu’à l’écume des torrents et le vol des oiseaux. La vallée montrait ses bois, ses coteaux, ses plaines vertes d’un blé naissant, ses récents labourages et ses étages couverts de hameaux et de pâturages, ses bosquets flétris et, enfin, des glaces et des rochers menaçants. Ces mouvements exprimaient une vie si variée et si calme. À suivre…