Qu’ils soient chamans, sorcières, guérisseurs, «ils avaient le pouvoir de guérir ou de tuer, d’assurer une bonne ou une mauvaise chasse, une récolte abondante ou la disette» (1). Mais, entre XIVe et XVIIIe siècle, ils n’avaient pas droit à l’erreur irréparable car la communauté se montrait sans pitié. Comme il fallait établir un équilibre entre microcosme et macrocosme, la nourriture était l’objet d’une attention particulière. L’Église surveillait de près l’art et la manière de se nourrir. Ceux qui refusaient : des Cathares aux jansénistes, le payèrent très cher. Elle imposa une église unanime avec repas pris en commun. Frugale et monotone, l’alimentation était souvent insipide. Fin XVIIe, lait et bouillie de maïs à tous les repas. Les épices et les condiments sont rares : vinaigre ou verjus. Le piment et la tomate apparaissent tard dans le milieu populaire. Au siège de Paris, en 1590, on fit du pain avec des os ramollis des morts déterrés aux Innocents. Au XVIIIe, les enquêtes soulignent le «dérèglement des saisons». Entre 1691 et 1693, une faible amplitude de 1 à 3° provoque une «disette pressante». Les céréales et les châtaignes disparaissent en Périgord. Il faut recourir aux substituts. À la veille de la Révolution, le médecin établit la liste des plantes «alimentaires» : le pain de racines d’asphodèle, les fruits du hêtre pour la soupe, la berle ou plantain en ragoût ou omelette, le panais, la betterave, l’orge, le fenouil, les fleurs de capucine, les soupes d’orties. La pomme de terre reste suspecte. Les morts ne se comptent plus, les sépultures manquent, le salut éternel n’est plus assuré. Les disettes et les famines ravagent le pays et détraquent les esprits. La mort ne fait plus peur. À la vue de ces milliers de corps abandonnés près des fosses communes, on se tourne vers «Satan en son Sabbat». Les sorcières prélèvent dents, cheveux, ongles, chair. Les faux sorciers avouent chiendent, vulpin, ivraie, lierre, liseron. Merci à l’auteur qui nous livre un récit fouillé, documenté, bouleversant, sur cinq siècles d’une misère humaine que nous n’imaginons même pas aujourd’hui.
«La cuisine du Diable» – Christian Desplat – Édition Gascogne – Avril 2016 – 25 €