«Javais une ambition plus haute : ne pas raconter ma guerre, mais la guerre» (1). Cette citation de Roland Dorgelès résume lextrême richesse de cet ouvrage. Les lettres, journaux et carnets dépouillés révèlent une grande disparité entre les classes sociales sous luniforme. Les combattants de la bourgeoisie intellectuelle (licence, agrégation ou doctorat), versés dans les unités de linfanterie, racontent leur découverte des classes populaires, quil sagisse de «camarades» ou de «leurs hommes». Ils réalisent que les ruraux, archi-majoritaires dans les tranchées, ne reçoivent pas de colis de leur famille car les frais de port font doubler le prix dachat ! Ils apprendront, ici, la valeur de largent. Leur sentiment dune supériorité intellectuelle est affirmé mais ils font léloge de leurs compagnons de combat «en dépit de leur simplicité». Louvrage analyse finement lesprit de sacrifice et le comportement souvent héroïque des 10000 combattants de la noblesse française. La perception de la durée du conflit est variable. Le poilu des campagnes pense que la guerre sera courte, un mois, six semaines; quils seront de retour pour la vendange, puis Noël, puis aux semailles du printemps. Trois mois, cest déjà très long. Un professeur précise : «Nous commençons à tout le moins la guerre de Trente ans». Mais, pour tous, la Paix va revenir et… le désespoir sinstalle. Le moral est meilleur chez les artilleurs ou les cavaliers que dans «la pauvre infanterie». À lété 1914, les Allemands paraissent tous unis pour la défense de leur Vaterland (patrie), construction intellectuelle qui seffondrera devant la réalité de lappartenance aux Heimat (régions). Prussiens et Bavarois se méprisent ou signorent. Enfin, les métiers, les militantismes et les ambiguïtés des identités «nationales» font lobjet dune belle étude. Un livre dhistoire passionnant.
(1) « Identités troublées 1914-1918 » – Direction : François Bouloc, Rémy Cazals, André Loez – Éditions Privat – septembre 2011 – 25 TTC.